Perquisition rarissime au ministère de la Justice, Dupond-Moretti soupçonné de conflit d'intérêt

Publié : 1er juillet 2021 à 13h10 par Iris Mazzacurati

VOLTAGE
L'enquête ouverte en janvier pour "prise illégale d'intérêts" à la CJR, seule juridiction habilitée
Crédit : CC by Gzen92

C'est un événement rarissime : une perquisition a eu lieu jeudi 1er juillet au ministère de la Justice dans le cadre de l'enquête qui vise Eric Dupond-Moretti sur de possibles conflits d'intérêts entre son action de garde des Sceaux et ses anciennes fonctions d'avocat.

La perquisition, qui a débuté dans la matinée place Vendôme, est menée par les gendarmes de la section de recherche de Paris avec les magistrats de la Cour de justice de la République (CJR).

L'enquête ouverte en janvier pour "prise illégale d'intérêts" à la CJR, seule juridiction habilitée à juger des ministres, fait suite aux plaintes déposées par trois syndicats de magistrats et l'association Anticor.

Cette perquisition "intervient près d'un an après les faits dont la Cour de justice de la République est saisie, ce caractère tardif ne manque pas d'étonner, alors même que les avocats d'Eric Dupond-Moretti ont pris le soin de transmettre dès l'annonce de l'ouverture de l'enquête tous les éléments utiles", ont également commenté des sources proches du dossier.

"Le garde des Sceaux est serein face à cette procédure pour laquelle il a toujours dit avoir exclusivement suivi les recommandations de ses services composés de magistrats", a ajouté son entourage.

"Je n'ai rien à craindre", avait lui-même affirmé M. Dupond-Moretti en janvier, après l'annonce de l'ouverture de l'information judiciaire menée par la commission d'instruction de la CJR.

Selon le Canard enchaîné, le garde des Sceaux devrait être prochainement convoqué par les magistrats de la CJR et risque une mise en examen. Le Premier ministre Jean Castex a lui déjà été entendu le 7 juin dans cette affaire, en tant que témoin.

Des "méthodes de barbouzes"

Au cœur des accusations figure l'enquête administrative ordonnée par Eric Dupond-Moretti en septembre contre trois magistrats du parquet national financier (PNF).

Tous les trois avaient participé à une enquête préliminaire visant à identifier la taupe qui aurait informé l'ex-président Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog qu'ils étaient sur écoute dans une affaire de corruption. MM. Sarkozy et Herzog ont depuis été condamnés dans ce dossier à trois ans de prison, dont un ferme et ont fait appel.

Le PNF avait été mis en cause pour avoir épluché les relevés téléphoniques détaillés ("fadettes") de ténors du barreau, dont Eric Dupond-Moretti, un ami de Thierry Herzog. M. Dupond-Moretti avait alors dénoncé des "méthodes de barbouzes" et déposé une plainte pour "atteinte à la vie privée", avant de la retirer le soir de sa nomination, en juillet, comme garde des Sceaux.

Les syndicats lui reprochent aussi d'avoir ouvert une autre enquête administrative à l'encontre du magistrat Edouard Levrault, aujourd'hui en poste à Nice.

Avant de devenir ministre, M. Dupond-Moretti avait été l'avocat d'un haut policier monégasque mis en examen par ce magistrat, alors détaché à Monaco, dont il avait critiqué les méthodes de "cow-boy". Ce juge s'était exprimé à la télévision sur cette affaire après son départ forcé de son poste.

Monaco s'en était aussi plaint auprès de la Chancellerie, et le juge avait été convoqué par sa hiérarchie - avant la nomination de M. Dupond-Moretti - mais avait refusé de répondre aux questions. Une fois place Vendôme, Eric Dupond-Moretti avait saisi l'Inspection générale de la Justice.

Les conclusions de l'enquête prédisciplinaire visant M. Levrault étaient attendues pour fin juin mais n'ont pas encore été rendues publiques.

Le garde des Sceaux a été officiellement écarté de ces enquêtes et de toutes les affaires en lien avec ses anciennes activités d'avocat, en vertu d'un décret de "déport" vers Jean Castex.

Les perquisitions au ministère de la Justice sont très rares.

Ce fut le cas en 2007, dans le cadre de l'enquête sur la mort du juge Borrel en 1995 à Djibouti, ou en 2001, dans dossier de favoritisme concernant la construction du nouveau tribunal à Fort-de-France.



(Avec AFP)