Guerre en Ukraine : « la russophobie » gagne du terrain en Île-de-France
Publié : 9 mars 2022 à 12h46 par Lucas Pierre avec AFP
La diaspora russe à Paris évoque "la guerre de Poutine".
Crédit : CC by The Presidential Press and Information Office
C'est l'un des effets indirects de la guerre en Ukraine : les émigrés russes à Paris subissent régulièrement des menaces, voire des agressions. Plusieurs faits de ce type ont déjà été relevés sur certains établissements liés à la Russie dans la capitale. Et ce, malgré la dénonciation d'une grande partie de la diaspora russe envers ce qu'ils appellent "la guerre de Poutine". A Paris, des sites sont même désormais placés sous surveillance, comme la cathédrale orthodoxe russe de la Sainte-Trinité. A Sainte-Geneviève-des-Bois, la mairie a décidé de diriger ses caméras vers le cimetière russe.
Sous le drapeau russe et les armoiries dorées, quelques tâches de peinture couleur sang maculent la façade et le mur d'enceinte de la Maison russe des sciences et de la culture dans l'ouest parisien. Des dégradations isolées mais signes de l'opprobre dont la diaspora russe se sent parfois l'objet depuis l'invasion de l'Ukraine. Le centre culturel a été ciblé par un « engin incendiaire » dans la nuit de dimanche à lundi. Et la direction a préféré suspendre la programmation des concerts. Mardi, jour férié russe, les persiennes métalliques restaient tirées, la police patrouillait. « Des profs se font insulter dans le métro parce qu'ils parlent russe. On est dans un amalgame total », déplore de son côté Arnaud Friley, directeur du conservatoire Rachmaninov, créé en 1923 par l'illustre musicien.
Sur les quais cossus de la Seine, à quelques pas du Trocadéro, les murs orangés vibrent au son du piano, comme à l'accoutumée, abstraction faite de menaces de mort reçues par mail ou de la présence désormais prévue d'un vigile à l’entrée. Dans l'entresol de l'immeuble, la cantine russe et ses rideaux de velours rouge reste vide de clients : autre conséquence du conflit, reconnaît un serveur. Plus radical, Konstantin Volkov, le directeur de la Maison russe des sciences, assure que « l'hystérie anti-russe » est là. « Je veux assurer la sécurité des employés », explique-t-il pour justifier la suspension de certaines activités pendant ce qu'il appelle le « temps chaud de l'opération contre les néonazis » en Ukraine, reprenant des termes du Kremlin.
Déjà, des élèves des cours de langues et de musique se sont désinscrits, concède-t-il. Si les menaces restent rares depuis le début de l'offensive militaire russe le 24 février en Ukraine, « des dispositifs de surveillance ont été mis en place devant certains sites en fonction de leur sensibilité et des risques évalués », résume une source sécuritaire. La cathédrale orthodoxe russe de la Sainte-Trinité et ses imposantes coupoles dorées, près de la Tour Eiffel, est l'un des sites surveillés.
« Vous êtes contente de ce que fait votre président ? »
Ailleurs, la mairie de Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne) précise avoir tourné les caméras de surveillance vers l'entrée du cimetière russe, l'un des plus grand hors de Russie. La fondation Louis Vuitton indique, elle, que « les mesures de sécurité maximales sont maintenues » au vu de la valeur « extraordinaire » de la collection Morozov exposée jusqu'au 3 avril. Selon l'Insee, 73.500 immigrés russes vivaient en France en 2021. Ceux rencontrés à Paris témoignent aussi d'une « russophobie » rampante et de critiques proférées hors de la seule sphère virtuelle des réseaux sociaux.
Anna, étudiante de 20 ans, raconte ainsi sous le couvert de l'anonymat le « choc » d'entendre son médecin lui dire « Vous êtes contente de ce que fait votre président ? ». « Il n'a même pas demandé pourquoi je consultais », assure-t-elle. Comme elle, certains préfèrent faire profil bas, « ne pas réagir et ne pas commenter pour éviter les problèmes ». Ici un restaurant russe recouvre d'un drapeau ukrainien une matriochka, là un autre poste sur les réseaux sociaux ses « condoléances pour toutes les victimes ». D'autres au contraire affichent ouvertement leur opposition à « la guerre de Poutine », au risque cette fois de s'attirer les foudres des partisans du régime.
C'est le cas de Natalia Turine. Dans sa librairie le Globe défile un bandeau lumineux « we Stand with Ukraine » (solidarité avec l'Ukraine). « La diaspora vit mal, enfin ceux qui ont un peu de cœur », lance l'éditrice, qui relativise aussitôt : « ils ne sont pas plus malheureux que ceux qui sont sous les bombes et quand même bien mieux que ceux qui sont à Moscou et risquent quinze ans de prison pour dire une phrase de travers ». Et d’ajouter : « les Allemands sont traités de ‘boches’ encore aujourd'hui. Chaque peuple porte sur ses épaules un poids, on aura notre croix à porter ».